L’entrée des artistes :
Lundi 5 novembre 2018, c’est le grand plongeon. Enfin, ça s’avérera plutôt être une délicate glissade dans une baignoire tiède remplie de mousse (avec un canard en plastique aux couleurs de la bienveillance).
L’appréhension était à son paroxysme, et bien qu’ayant visité le service auparavant, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre et surtout, ce que mes supérieurs allaient attendre de moi. Lorsque j’étais venu, ils m’avaient bien fait comprendre qu’ils avaient conscience que je ne connaissais rien à leur art et que tout était à apprendre. C’était déjà ça. Mais l’intégralité des internes que j’avais vu durant mon externat étaient des personnages aussi blancs que leur blouse, toujours en train de courir, toujours en staff, toujours en RCP, toujours en train de finir un compte-rendu…Et je ne me sentais pas prêt à rentrer dans ce tourbillon d’un seul coup.
Bref, tout ça pour dire que la semaine précédant l’internat, j’ai perdu 2 kilos, pour des raisons physiologiques évidentes.
J’arrive donc à 8h30 et suis reçu par un PH et le chef de service au café. On va attendre les deux autres internes, puis faire une petite entrevue avec le chef. Lesdits co-internes arrivent, et ont le bon goût d’être à la fois très gentils, mais également déjà passés dans le service.
Reçus par le chef, il nous explique que « nous ne sommes pas là pour pallier au manque de médecins dans le service » et que nous sommes en surplus. Du coup, nous devons nous arranger entre nous pour voguer entre les diverses missions du service. Nous allons avoir des cours les mardis et jeudis soirs durant un mois, afin d’avoir le minimum vital pour pouvoir faire des choses seuls. Plutôt bien comme organisation : grande liberté de mouvements (et je suis de ceux qui pensent que c’est en réfléchissant comme ça qu’on donne envie aux gens d’apprendre), et on ne s’attend pas à ce que le pauvre petit premier semestre connaisse déjà tout de la spécialité.
Les inévitables formalités administratives réglées, sur les coups de midi, nous partons manger à l’internat. J’ai la bonne surprise de voir que le chef de service et quelques PH déjeunent chaque midi avec les internes/assistants, chose qui n’était pas du tout évidente pour moi, mais qui fait partie des « petites choses » qui resserrent les liens dans un service.
Je suis opérationnel pour commencer dès l’après-midi.
Au boulot :
Je fais rapidement connaissance avec mes co-internes qui ont tous les deux pour vocations de devenir légistes. Un d’eux est interniste et l’autre est anapath. Ce dernier est déjà passé en tant qu’interne dans le service : il connaît tout le monde, connaît le mode de fonctionnement du service, et connaît bien le boulot. C’est une super personne-ressource et je vais être un véritable poids avec la masse de questions que je vais lui poser !
Bref, le lundi après-midi, il y a deux corps à examiner. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autopsie demandée, juste un examen externe, pour voir si les causes de la mort sont compatibles, si on identifie bien la personne etc. Il s’agit donc de détailler les vêtements de la personne, de détailler ses signes distinctifs (cicatrices, bijoux, tatouages…), de détailler les lésions que l’on peut apercevoir et de dire si les lésions sont compatibles avec la cause de la mort telle que rapportée (Je n’irais pas plus loin dans les exemples pour préserver l’anonymat des patients que nous avons pu voir, j’en reparlerais quand je pourrais éviter de donner des détails sur la date où j’ai vu tel ou tel corps.)
Revenus de l’IML, mon co-interne m’explique comment fonctionne les consultations adultes, pour les victimes de violences. Nous en faisons une ensemble, il m’explique comment rédiger un certificat (tout au passif, au conditionnel…), comment coter une ITT (= Interruption Temporaire de Travail).
Pour le planning, nous prenons tous les trois le parti de dire « on verra au jour le jour ».
Le mardi matin, je suis embarqué avec le médecin de déplacement, c’est-à-dire celui qui fait les levées de corps (les « constatations de décès »), et les examens des gardés-à-vue (pour dire s’ils sont compatibles avec une garde à vue de 24h). C’est une pédiatre légiste, et elle participe à un staff le mardi matin, dans une unité de la pédiatrie où l’on fait le tour des questions de maltraitance au sens large. Elle apporte donc son « expertise », en tout cas son avis sur certains dossiers, d’enfants battus, d’enfants secoués, d’enfants dans des situations préoccupantes. Ce staff est composé de pédiatres, d’assistants sociaux, de personnes de la PMI… Il fait un grand tour et brasse beaucoup de petits patients en une matinée, c’est très enrichissant.
Dès la fin du staff, la médecin est appelée pour une garde à vue : examen médical, contrôle des médicaments, des antécédents sont au programme pour voir si la personne est apte à rester dans sa cellule pour 24h.
Dans l’après-midi, nous sommes appelé pour une levée de corps. Il s’agit ici de dater au mieux le décès, de trouver les signes distinctifs permettant d’affirmer que la personne est bien celle que l’on pense (pour exemple, ici, nous avons mis en relation un ancien compte-rendu d’hospitalisation et les cicatrices du cadavre pour dire que tout était compatible), et de dire s’il y a un « obstacle médico-légal » lors de la rédaction du certificat de décès, qui permettrait au magistrat de décider d’une autopsie. Ce n’était pas le cas ici.
Le mercredi, je vais aux auditions pour mineurs. C’est un mode de fonctionnement très intéressant. En effet il existe dans le service une salle d’audition où la police auditionne des enfants, avec une vitre sans teint et un enregistrement, qui permet de ne pas avoir à faire répéter 50 fois à l’enfant une information qu’on n’aurait pas comprise. La procédure est très protocolisée : la personne amenant l’enfant voit d’abord une psychologue avec l’enfant, pour discuter de la procédure. Puis la psy voit l’enfant seul, lui pose des questions sur sa vie, ses activités, pour le mettre dans de bonnes dispositions et voir s’il est enclin à la discussion. L’officier de police vient ensuite se présenter, et présente à l’enfant et ses accompagnants la salle d’audition et la salle d’enregistrement. Puis un des officiers va avec l’enfant dans la salle d’audition, pendant que nous sommes à l’enregistrement (un micro permet de transmettre des informations au policier qui fait l’interrogatoire). A l’issue de l’audition, l’enfant est vu par un médecin, avec un examen orienté en fonction de ses révélations (et donc, plus ou moins un examen génito-anal par exemple). Ce mode de fonctionnement est très intéressant.
Le jeudi matin, je fais des consultations en binôme avec mon co-interne : violences physiques, verbales, harcèlement moral, accidents de la voie publique, accidents de travail, violences conjugales… L’exercice est assez varié et les histoires les sont tout autant. Je suis de plus en plus à l’aise avec la rédaction des certificats, et j’ai surtout envie de ne pas tenir la patte de mon pauvre co-interne trop longtemps. Nous prenons les consultations d’un médecin prévu pour ça, qui propose gentiment de m’accueillir, mais le travail en binôme fonctionne déjà très bien donc nous faisons 1 consultation sur 2.
Le jeudi après-midi, je suis avec un médecin qui fait des expertises. La sécurité sociale nous demande, par exemple, si « le patient était apte à travailler à telle date ». Sont joints au dossier des certificats médicaux d’une hospitalisation ayant entraîné l’arrêt de travail contesté par la sécu. Exercice complexe, il faut s’aider du dossier et de l’examen clinique pour se prononcer. Je n’en ai pas encore fait assez pour avoir un véritable avis ou pour pouvoir expliquer bien clairement de quoi il retourne.
Le soir, nous avons cours dans le service sur le « droit pénal » puis sur « l’examen des victimes » au sens large, qui permettent de mieux comprendre ce que je fais depuis quelques jours, et de donner des pistes pour pouvoir s’autonomiser rapidement.
Le vendredi matin, j’accompagne un PH à une présentation sur « les dangers des stupéfiants ». On propose cela à des gens qui, plutôt que de subir une condamnation, choisisse de suivre ce stage de sensibilisation qui coûte 120 euros et dure une journée. Un peu comme pour les points du permis. Le médecin durant deux heures présente l’historique de diverses drogues, leur effet sur le cerveau et sur la santé, dans un exercice de vulgarisation pas toujours simple. Pour les personnes suivant ce stage, l’après-midi est consacrée à une table ronde sur les conséquences sociales de la consommation de stupéfiants.
Vendredi midi, staff « autopsies de la semaine », avec images intéressantes, points délicats, discussions sur les conclusions et sur le type de prélèvements effectués…Puis une petite séance de biblio, qui aura lieu tous les vendredis, pour se tenir à jour. Parfait !
L’après-midi, je suis en consultations pour mineurs. J’y vois de l’examen pédiatrique global, orienté en fonction des dires des enfants et de leur motif de consultation. C’est l’occasion de faire un check-up pédiatrique chez des enfants qui ne sont pas nécessairement suivis par ailleurs. Echanger avec des PH pédiatres de formation est très enrichissant.
Le lundi suivant, enfin, la sacro-sainte autopsie. Non pas que j’attendais cela avec impatience, mais puisque dans l’esprit des gens on ne fait que ça…Autant avoir une petite idée de ce que c’est, quand même ! (J’espère que mon article aura montré que la mort est bien loin d’être notre fond de commerce principal)
Nous partons donc à l’IML, où j’aurais pour charge de prendre les notes de l’autopsie (évidemment, on ne va pas demander au nouvel interne de pratiquer ce qu’il n’a jamais vu !). La salle est un mini-amphithéâtre, on voit très bien ce qu’il s’y passe. Des policiers en charge de l’enquête suivent l’autopsie, mettent les prélèvements sous scellé. Quant à moi je découvre la façon de procéder, le professeur me montre des éléments d’intérêt, comment conclure, le poids normal des différents organes…Toute une masse d’informations à acquérir. Les dossiers sont néanmoins intéressants, mais je ne m’étendrais pas dessus aujourd’hui.
La reine des spécialités ?
Sept jours d’internat, sept jours différents. C’était l’objectif dans ma vie : avoir une activité variée. Je suis de plus en plus confiant dans mon choix. L’équipe aide beaucoup, et tout le monde est très sympa, c’était aussi un point très important.
Après trois années d’externat, à travailler pour un concours et pas pour moi, je réapprends à être heureux de me lever le matin.
Et surtout, la journée, je ne vois pas passer les heures.
Vivement la suite !