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BD

Prison – Rinaudo/Royant/Dorange

Sortie récemment chez La Boite à Bulles, Prison est une chronique sociale de la vie carcérale que l’on essaie trop souvent de nous faire passer pour un temps de bien être où de nombreux loisirs sont accessibles. La réalité est évidemment tout autre et les nombreux dysfonctionnements du milieu carcéral sont mis en lumière à travers l’histoire de quatre de ses occupants, souffrant tous de problématiques diverses, qu’elles soient sociales, violentes, médicales, sexuelles.

Ainsi entre défaut de soins, violences entre détenus ou avec les matons, violences économiques à travers des travails physiques sous-payés, on découvre un monde que l’on ne veut pas voir, celui de la prison dont l’objectif de réinsertion sociale est totalement mis de côté au profit de d’une machine à sanctionner et à humilier les détenus.

Résolument réaliste, cette bande-dessinée bénéficie d’une postface rédigée par la ligue des droits de l’homme, appuyant le côté malheureusement véridique des histoires racontées dans celle-ci.

Une histoire évoque notamment la présence en cellule d’une personne souffrant de troubles psychotiques et reflète plutôt bien la souffrance qui peut découler de l’incarcération en lieu et place d’un établissement de soins psychiatriques.

Cette bd est également le support de réflexion sur des améliorations qui pourraient être apportées aux mécanismes de la prison, notamment à travers la préface rédigée par une avocate pénaliste.

Loin de la bd grand public, Prison propose aux lecteurs n’ayant pas connaissance de ce milieu, une réalité qui vous arrive en pleine face et que l’on aimerait mettre de côté.

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BD

Nachave – Lucas Harari

Il y a une part infime d’auteurs dont l’annonce d’une nouvelle sortie peut me rendre particulièrement impatient et Lucas Harari en fait définitivement partie. La découverte de La dernière rose de l’été il y a deux ans chez Sarbacane a été une révélation en matière de polar, avec son rythme lent et Hitchcockien propulsé par des couleurs à la Warhol, j’avais refermé le livre en cherchant ce que l’auteur avait pu faire d’autre et j’avais été surpris de voir qu’il n’en était qu’à sa deuxième production, la première étant L’aimant, lui aussi superbe roman graphique.

C’est donc avec beaucoup d’attentes que j’entame Nachave ( « s’en aller » en argot) ce d’autant que le parti pris de cette collection est intéressant : il s’agit de proposer aux auteurs de réaliser une histoire sans paroles.

On trouve donc 25 images muettes dans cet ouvrage qui laisse place à la contemplation de l’art d’Harari : des traits précis, géométriques -fils d’architecte oblige !- tout à l’encre noire. Le talent scénaristique de l’auteur est indéniable tant tout semble fluide sans avoir même recours à la parole, le dessin vaut toutes les bulles imaginables et chaque case malgré son dessin épuré contient des détails appuyant l’histoire.

On suit un jeune de banlieue au destin tragique alors même que de nombreux indice disséminés dans l’ouvrage lui intiment l’ordre de fuir -Nachave-.

C’est une forme d’expérience dans le roman graphique où l’on ré-apprend à lire des œuvres dessinées sans négliger le dessin, ici l’absence de parole est évidemment un prétexte pour laisser place à l’imaginaire et à la contemplation des planches.

Edité dans une très belle édition cartonnée à reliure cousue, ce roman graphique est une nouvelle preuve du talent de conteur de Lucas Harari, définitivement un auteur dont j’attendrai toutes les prochaines productions !

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Romans

Le coup du fou – Alessandro Barbaglia

C’est avec beaucoup d’interrogations que j’ai débuté la lecture de « Le coup du fou » d’Alessandro Barbaglia, écrivain et libraire italien, paru aux éditions Liana Levi. En effet, le bandeau laisse assez songeur : « Bobby Fischer, l’Iliade et mon père ». Père de l’auteur qui était un psychanalyste reconnu et qui s’intéressait de façon obsessionnelle à la vie de Fischer. Ca fait beaucoup d’éléments qui me correspondent !

Si vous n’êtes pas familiers avec la vie de Bobby Fischer, une bande dessinée est récemment parue, retraçant son parcours et ses passages à l’acte complexes :

En quelques mots, Bobby Fischer était un prodige des échecs, connu notamment pour avoir complètement dominé le championnat du monde de 1972 mais également pour son trait obsessionnel, son refus de toute communication ou de toute mise en lumière puis, par la suite de sa vie, pour des prises de position « controversées » -le mot est faible- au sujet du peuple juif notamment ainsi que des attaques terroristes de 2001.

Que raconte donc ce livre ? Eh bien, en filigrane il est question de la fameuse rencontre entre Fischer et Spassky lors du match du siècle en 1972, bien sûr. Cependant l’auteur va régulièrement faire le parallèle entre cet affrontement, l’opposition que peuvent avoir Ulysse et Achille mais également la relation qu’il a pu avoir avec feu son père.

De ce triangle étrange renaît une forme de tension, on vit le match d’échecs, rendu accessible à tous, à travers ce parallèle, Fischer mis en perspective avec Achille, Spassky identifié à Ulysse. Le vrai fond de l’ouvrage reste cependant la quête paternelle poursuivie par le fils en la personne de l’auteur. Pour comprendre la fascination de son père à l’égard de Fischer, celui ci a du largement se documenter et marcher dans ses traces. Alors en apprend-il de plus en plus sur les intérêts de son père, sur sa façon d’exercer son métier, sur ses relations avec les autres.

Si l’idée de départ peut sembler saugrenue, le produit fini est étonnamment bien mené, on ne se perd pas dans les différents parallèles qui peuvent être réalisés et le découpage en chapitres, partie après partie, rend l’ensemble tout à fait compréhensible. L’auteur possède un talent certain pour transmettre ses propres émotions, au fur et à mesure de l’évocation des souvenirs de son père qu’il apprend à connaître a posteriori.

Sans être une redite du match du siècle, connu même en dehors des cercles échiquéens, ce livre manie et joue avec les différents sujets sans aucune fausse note. La guerre froide se mélange à la guerre de Troie, alors même que la figure paternelle de l’auteur s’impose à lui. Insolite, ce roman sera à mon sens clivant : il ne faut pas le lire comme un roman traitant des échecs, il faut le lire comme un ensemble de quêtes qui se résolvent au même moment, et c’est avec beaucoup d’émotions, partagées avec l’auteur, que l’on referme le livre.

Au plan plus personnel j’ai trouvé l’idée initiale étrange, avec la crainte que le récit ne soit très bouillon mais il n’en est rien. Les échanges et les obsessions des psychanalystes pour certaines de leurs analyses est très bien retranscrite, mais sur un plan beaucoup plus humain on découvre le père de l’auteur en quête de fonctionnements humains qui lui sont étrangers. Revenir à l’époque de la génération précédente de thérapeute est un bond dans un exercice qui m’est globalement inconnu et il est très intéressant de lire et partager ce type de récits qui sont une partie de ce qui a forgé mon travail actuel.

Soulignons une fois de plus la qualité d’éditions de Liana Levi, tout est parfait chez eux : du papier à la couverture à rabats, leurs livres dans ce format comme dans la collection Piccolo sont toujours un plaisir à avoir entre les mains.

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Etudes

PsyS – Une histoire inédite de la santé mentale – Jeffrey Lieberman

Quel plaisir d’allier ma passion pour la lecture avec mon travail. Quel bonheur d’être directement sollicité par l’éditeur – ça donne l’impression d’être une star – pour lire cet ouvrage que j’attendais depuis longtemps.

En effet depuis mon virage vers la psychiatrie, je cherchais un ouvrage d’histoire de la psychiatrie qui allait à l’essentiel, dont la lecture était possible par tous, eh bien : le voici.

PsyS est écrit par Jeffrey Lieberman, professeur de psychiatrie à Columbia et membre de nombreux comités de l’American Psychiatric Association. Il est édité par EdpSciences en partenariat avec l’Inserm, traduit à partir du manuscrit original de langue anglaise daté de 2015. La traduction est réalisée par Aurélie Bretel.

Cet ouvrage propose de revenir sur l’histoire de la psychiatrie, de ses débuts jusqu’à sa pratique actuelle et même les perspectives futures. L’ouvrage débute par plusieurs pages glaçantes où l’auteur explique que la psychiatrie actuelle paie les pots cassés de centaines d’années de n’importe quoi qu’il va nous raconter. Le style d’écriture est très agréable car la lecture se fait comme un roman, ponctuée d’anecdotes personnelles et de détails parfois loufoques sur les différents protagonistes évoqués.

Histoire du diagnostic

En premier lieu, l’auteur se penche sur l’histoire du diagnostic.

Des mesméristes du XVIIIè siècle il ne reste pas grand chose, encore que la « thérapie énergétique » pourrait à ce jour être vue comme la suite logique de cette médecine d’un autre âge. Sont ensuite évoqués les aliénistes, puis l’ascension de la psychanalyse, cette science qui expliquait tant de choses à une époque où l’on ne comprenait aucune maladie mentale.

La psychanalyse n’est pas épargnée dans l’ouvrage, décrite largement comme la médecine des « troubles légers » et laissant largement les patients souffrant de troubles bipolaires ou de schizophrénie à leur souffrance. On assiste à l’ascension de Freud et de la psychanalyse jusqu’aux années 60, années où l’auteur a débuté ses études de médecine et de psychiatrie. C’est également le début des classifications diagnostiques, héritées notamment des travaux de Kraepelin. On assiste alors à la création des trois premiers DSM.

Encore une fois le style d’écriture rend la lecture très agréable, agrémentée d’anecdotes personnelles ou non et l’on se surprend à voir défiler les pages en attendant la suite, comme on attend la suite d’un roman.

Histoire des traitements

L’histoire des traitement en psychiatrie est marquée par l’utilisation de techniques empiriques douteuses ce que l’auteur ne se garde pas de noter : de la cure hyperthermique à la cure par coma hypoglycémique, en passant par la lobotomie au pic à glace, l’ère pré-neuroleptique est peu reluisante.

Puis dans les années 1960 est découvert le pouvoir de la chlorpromazine, s’ensuit alors une « ruée vers les traitements » pour trouver des nouveaux antipsychotiques plus efficaces ou moins dangereux. Tour à tour les neuroleptiques, le lithium et les antidépresseurs imipraminiques sont découverts, chaque fois dans des circonstances qui semblent tenir plus de l’aléatoire et du coup de bol que de la recherche telle qu’on la connait.

Une large part de ce chapitre est dédiée à la scission qui commence alors à se faire entre les tenants de la psychanalyse et les psychiatres psychopharmacologues en devenir.

Révolution cérébrale

Le dernier tiers de l’ouvrage est dédié aux découvertes neurobiologiques en psychiatrie, marquées notamment par la diversifications des possibilités en termes d’imageries cérébrales.

Un focus très intéressant est proposé sur le trouble de stress post-traumatique, devenu malheureusement connu à la suite de la guerre du Vietnam et qui est un trouble particulier en ce que l’on sait parfaitement quel en est l’élément déclencheur ce qui n’est pas banal en psychiatrie. L’auteur propose donc un historique de ce trouble et de sa reconnaissance particulièrement poussive au fil des années.

Enfin, le DSM-5 est évoqué comme « le triomphe du pluralisme », celui-ci mettant en commun l’ensemble des connaissances actualisées sur le cerveau, les troubles, la psychiatrie en général.

Conclusion

J’ai beaucoup aimé le regard critique porté sur les pratiques anciennes, empiriques ou non fondées dans l’exercice de la psychiatrie. Lire cet ouvrage permet de comprendre une forme de réticence à la consultation ainsi que la représentation du psychiatre qui peine à sortir de l’aspect étrange et psychanalytique des années 50.

Pourtant avoir connaissance de l’évolution de ma spécialité en tant que psychiatre me semble essentiel : on ne peut que comprendre à travers les multiples maltraitances médicales de nos anciens confrères – ou de nos confrères actuels…- l’aspect tout particulier de la psychiatrie à l’égard de la médecine.

Une lecture très plaisante qui ne se noie pas dans une multitude de détails imbuvables, c’est très exactement ce que je cherchais pour me faire une idée plus exhaustive de l’évolution de mon travail à travers les âges.

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Etudes

Folie et Paranormal : Vers une clinique des expériences exceptionnelles

Ca pète comme titre d’article nan ?!

Eh bien figurez vous qu’il s’agit également d’un ouvrage très intéressant rédigé par le Dr Renaud EVRARD, spécialiste des expériences anomales càd les « vécus hors-norme » tels que le sentiment d’être possédé, la télépathie, l’abduction, les expériences de mort imminente. Il est paru aux Presses Universitaires de Rennes.

Pourquoi j’écris alors que l’auteur présente le livre lui-même ?!

Ce livre m’est tombé dans les mains suite à une présentation du Dr Thomas RABEYRON à l’Encéphale 2021 qui présentait les avancées en parapsychologie et donnait des pistes sur la clinique des expériences anomales. Il a d’ailleurs lui-même rédigé un ouvrage :

Bref, aujourd’hui je vais essayer d’être clair et concis, surtout sur les apports que peuvent avoir de tels ouvrages sur le travail en psychiatrie qui évidemment frôle – touche et couvre – de tels sujets.

Comme le Dr Evrard le précise dans la vidéo du dessus, il s’agit d’un ouvrage adapté depuis son travail de thèse et les articles qu’il a pu rédiger. Le ton se veut donc évidemment scientifique sans être sensationnaliste. Si la première moitié de ce travail est teinté de psychanalyse et peut se trouver être indigeste pour quelqu’un n’ayant aucune connaissance à ce sujet, la deuxième moitié est bien plus pratique et pose des questions très intéressantes sur les modes de fonctionnement et de diagnostic en psychiatrie.

Après avoir définit les expériences exceptionnelles comme des « expériences vécues avec une qualité subjective si particulière et qui s’écartent si distinctement des modèles explicatifs de ceux qui les vivent, qu’elles ne sont pas intégrées dans les schémas cognitifs et émotionnels disponibles« , l’auteur propose plusieurs sous-classifications englobant les possessions, la mediumnité, les perceptions extra-sensorielles, les coincidences significatives, les apparitions, les présences externes.

Ca aborde quoi ?

La première partie de l’ouvrage, sur laquelle je ne m’attarde pas, est composée d’un historique de la discipline, évoquant notamment les différentes convergences entre psychanalyse et spiritisme, psychanalyse et transfert de pensée.

La deuxième partie est intitulée « paranormal et spiritualité ». Celle-ci est particulièrement intéressante puisqu’elle interroge la définition même d’une expérience exceptionnelle, de ce qui doit être considéré comme normal ou paranormal. Elle évoque notamment le vide diagnostiques de telles expériences dans le DSM (à tort ou à raison) mais également la stigmatisation de telles expériences face à des patients qui en souffrent. Ces éléments prennent forcément en compte l’aspect transculturel de la discipline, ils sont ponctués d’exemples savamment choisis et très pertinents dans leur approche.

Ces deux parties constituent la première moitié de l’ouvrage.

La troisième partie s’intéresse aux expériences exceptionnelles de l’adolescent et aborde d’une part l’attrait pour l’occultisme de ceux-ci, un éclairage psycho-sociologique bienvenu étant proposé. Il est également question des « enfants indigos », ces enfants surhumains apparus dans la période New Age et dont la croyance quant à l’existence persiste encore à ce jour. Plusieurs cas viennent illustrer l’importance d’une part d’accueillir l’ensemble de la famille en tenant compte des expériences exceptionnelles qu’elle peut apporter mais aussi d’avoir en tête la diversité des diagnostics que fait évoquer cette problématique, notamment le TDAH. Par ailleurs un historique du mouvement quasi-sectaire aux USA est proposé avec des exemples de nombreuses dérives à ce sujet. Enfin, cette partie se conclue sur le phénomène des « entendeurs de voix », avec un historique et différentes pistes cliniques pour les patients qui n’ont que cet unique symptôme. La prévalence d’un tel symptôme en population générale serait assez élevée et, certains sujets auraient un phénomène d’habituation à de telles hallucination, n’entravant pas nécessairement leur quotidien. Ce chapitre invite à repenser notamment le diagnostic de schizophrénie.

Enfin, la quatrième partie est celle qui me touche le plus en tant que psychiatre puisqu’elle pose la question de la concordance entre « expérience exceptionnelle » et « trouble psychotique ». Il y est évoqué d’une part le diagnostic de « trouble de la personnalité schizotypique » et la subjectivité importante de ce diagnostic, souvent vu comme une « sous-schizophrénie ».

Y est également évoquée l’entité clinique des patients « UHR » dit à « Ultra Haut Risque » de transition vers une schizophrénie. Au sens de l’auteur, les différentes échelles mises en place sont d’une part bien trop subjectives et d’autre part n’incluent pas précisément les différentes expériences exceptionnelles qui peuvent se trouver en clinique. Par ailleurs il est mis en avant la subjectivité même dans les critères diagnostiques dont les critères temporels, par exemple, ont été validés puis remis en cause dans les instances scientifiques. Alors, quid de la personne à laquelle on diagnostique une « psychose atténuée » ? Quelle est la pertinence clinique d’une telle annonce, si on ne prescrit pas de traitement, ne risque-t-on pas simplement d’induire de la peur chez quelqu’un qui n’aura peut-être aucun trouble psychique à terme ? Ces chapitres sont très intéressants car ils fourmillent de questionnements sociologiques.

Le dernier chapitre, « clinique structurale et différentielle », jvais pas vous mentir, j’y comprenais rien parce que je n’ai aucune base en psychanalyse et ça utilisait beaucoup trop de termes que je ne comprenais même pas.

En bref :

Une très bonne lecture, assez éloignée de mes habitudes puisque s’inscrivant dans une tradition psychanalytique qui m’est inconnue. Néanmoins j’étais ravi de voir que les théories avancées étaient toujours remises en cause et appuyées par des publications scientifiques rigoureuses (je pense notamment à la partie sur la psychose atténuée).

Amateurs de sensationnel passez votre chemin : il n’est pas question ici d’un recueil d’histoires farfelues paranormales, mais plutôt d’un éclairage sur ces phénomènes souvent honteux pour les patients mais qui les fait souffrir. En tant que clinicien, il s’agit d’éléments importants à avoir dans un coin de la tête.

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BD

Voleuse – Lucie Bryon

Fouloulouuuuuu. Mais genre fouloulou de ouf !

Ce roman graphique fait partie des ouvrages dont je n’attends pas grand chose -y’a pas de sang ni d’explosions, eh- mais que je lis avec intérêt d’une part car la couverture m’y invite mais également parce que ça sort chez Sarbacane et que ce qui sort chez Sarbacane doit impérativement être lu tant cette maison d’édition a, à mon sens, le catalogue le plus qualitatif de toute la France. Eh bin les copains, quel pied.

« Voleuse » est le premier roman graphique de Lucie Bryon, autrice/illustratrice que vous pouvez retrouver sur Instagram. Celui-ci présente Ella, une lycéenne particulièrement extravertie, noyées dans ses pensées obsessionnelles dès lors qu’elle pose les yeux sur Madeleine, une élève a priori sans histoire de sa classe. Celles-ci vont participer à la même soirée et leur destin vont se croiser : alors que la première se réveille avec la gueule de bois du tonnerre, entourée d’objets qui ne lui appartiennent pas, la deuxième se rend compte qu’on a cambriolé son domicile…

S’ensuivent alors des péripéties que je ne dévoile pas pour éviter de vous divulgâcher la lecture, sachez néanmoins que le scénario est particulièrement bien ficelé et traite de sujets très divers et actuels tels que les relations sentimentales à l’adolescence, l’homosexualité, le harcèlement, le féminisme, les histoires de famille. La lecture est fluide et tout s’enchaîne sans pause, aidée par le superbe trait de l’autrice qui manie parfaitement l’entre-deux entre la BD classique et les heures les plus heureuses de la « Bd-blog/manga », donnant un aspect dynamique à l’ensemble et surtout des caractéristiques très marquées à chaque personnage notamment dans leurs réactions particulièrement exacerbées. Ella dans ses réactions et comportements, me fait énormément penser à Sarah’s Scribbles que j’aime d’amour.

Chaque partie de l’histoire est soulignée par l’utilisation d’une palette de couleurs différentes -exemple supra de la dominante orange- l’ensemble étant par ailleurs constitué de forts contrastes de noir et blanc qui font ressortir élégamment les actions ou les éléments colorés.

Tout cela réunit dans une belle édition avec rabats -vous me connaissez, ça évite que l’ouvrage s’abime et c’est donc un énorme oui- et un papier dense qui rend l’impression très belle (j’ai failli parler de « grammage » mais je ne désire pas m’aventurer dans des contrées où je suis parfaitement amateur).

En bref, une formidable histoire d’amour, drôle, touchante, sans fausse note, encore plus impressionnant s’agissant d’un premier ouvrage !

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BD

Fraîche – Marguerite Boutrolle

Sortie aux éditions La boîte à bulles, cette bande dessinée toute en noir & blanc met en avant Pia, une jeune lycéenne qui se retrouve dans un lycée privée pour son année de terminale. On suit alors toutes les questions qui peuvent se poser à cet âge de transition : les difficultés dans les interactions sociales, le libre-arbitre, les relations amoureuses ou sexuelles ainsi que le consentement.

Fidèle au style qu’elle peut développer sur son Instagram, Marguerite Boutrolle livre une œuvre semi-autobiographique (elle décrit le récit comme fictif mais adapté d’éléments de vie personnelle) où chacun peut se reconnaître dans la période qui est évoquée. Car entre toutes les premières expériences qui se bousculent et se télescopent pour Pia, chacun retrouvera des éléments de sa propre histoire personnelle.

Aaaaaaah, l’amour…

Entre apprentissage de la vie d’adulte, recherche de la liberté, de l’inclusion dans un groupe mais également des premières déconvenues qu’elles soient amoureuses ou sociales, les situations s’enchaînent sans temps mort dans cette bande dessinée qui se lit d’une traite.

J’ai beaucoup aimé dans la globalité, notamment le personnage de la meilleure amie d’enfance qui se fait occulter par les nouvelles connaissances de la protagoniste. Le traitement apporté aux différents personnages de la bande dessinée est plutôt fin et lucide quant à cette période de la vie. Très belle découverte avec un style graphique qui me plait beaucoup.

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BD

MFK 2 – Run

Le retour de Mutafukaz, rien que ça. La première série avait été un tel choc que je n’attendais même pas de suite tant tout était parfaitement conclu, maitrisé sans aucune longueur.

Cette série tient une place toute particulière dans ma vie de lecteur car lors de sa parution aux alentours des années 2006-2007-2008 je ne jurais que par les comics américains, laissant pour compte l’intégralité de la production française que je jugeais hâtivement destinée aux lecteurs grisonnants qui n’aime pas l’action ou les belles images et préfère lire des bulles qui prennent toute la case. Puis Mutafukaz est arrivé, et c’est depuis cet ouvrage précis que j’ai ouvert mes horizons en matière de bande dessinée française. La première série était tellement percutante, tellement semblable aux comics américains que je pouvais lire, qu’il était impossible de passer à côté et les textes en Français renforçaient l’impression de vivre quelque chose de nouveau, mon livre n’ayant pas eu à franchir la barrière de la traduction et ne souffrant donc pas d’adaptations maladroites ou de blagues loupées lors du passage d’une langue à l’autre.

Bref, je ne m’étends pas sur Mutafukaz premier du nom, vous connaissez tous, et si vous ne connaissez pas, foncez acheter l’intégrale dont le prix est largement raisonnable.

MFK 2 nous plonge plusieurs années après les évènements de Dark Meat City, Angelino et Vinz ayant chacun tenté de retrouver un semblant de vie normale. Néanmoins la situation va rapidement basculer pour donner lieu à une -nouvelle- chasse à l’homme dont Angelino va avoir bien du mal à se défaire.

Difficile d’évoquer plus avant le scénario sans dévoiler certains éléments de l’intrigue, la grande force de Mutafukaz résidant en partie dans la qualité de son écriture. On peut toutefois en dire qu’une fois de plus Run a le sens de la formule, du parlé français de la street bien senti -ambiance Les Bosquets Montfermeil 93 pour les connoisseurs- qui tranche complètement avec la dégaine de ses personnages tous frêles et peu imposants au premier abord. Les dialogues sont très fins, englobés dans des considérations conspirationnistes totalement maitrisées et étonnamment proches de certains pans de notre réalité, il est d’ailleurs fait explicitement mention de certaines théories du complot ou de certains protagonistes. Sans surprise, si vous suivez Run sur les réseaux sociaux , vous connaissez d’ores et déjà le travail éminemment sourcé de l’auteur qui tient à être très à l’aise avec les sujets dont il parle dans ses ouvrages.

Au delà des dialogues, soulignons une fois de plus la qualité du dessin qui fourmille de détails et de références tantôt françaises, tantôt anglo-saxonnes, tantôt japonaises -ou les trois, mélangées dans une sorte de gloubiboulga publicito-encyclopédique qui s’insère parfaitement dans l’ensemble !-

On retrouve ce qui faisait à mon sens la force de la première série à savoir un dessin et un découpage dynamiques, des personnages particulièrement expressifs et surtout des couleurs très bien utilisées mettant en valeur les changements d’ambiances, de point de vue, d’époque. Le style graphique est parfois modifié pour montrer une fracture avec la page précédente, c’est un procédé qui fonctionnait très bien auparavant et qui fonctionne toujours aussi bien aujourd’hui. Les scènes d’action notamment ont souvent une prédominance du rouge (pour des raisons évidentes…) du plus bel effet.

Les dessins fourmillent de détails, à tel point que nous sommes face à une bande dessinée qui ne se lira pas en cinq minutes puisque l’on se perdra dans les cases à la recherche de chaque référence glissée ici ou là. J’ai également une sensibilité particulière pour la travail d’encrage et sur les ombres que je trouve très soigné et réussi, participant au dynamisme de l’ensemble.

Cette deuxième série (saison ?) est prévue a priori en trois tomes. Je suis ravi que ce nouveau départ ait été si bien reçu par la critique et par les lecteurs tant je trouve le travail de Run -et du Label 619- impressionnant et sortant du lot de ce que l’on peut découvrir en France.

Suivez le label 619, soutenez ses créations, car c’est une véritable chance d’avoir des auteurs de ce calibre par chez nous ! Etant issu de Twitter, je me sens obligé de souligner que je rejoins Run sur nombre de ses réflexions sur le monde qu’il poste régulièrement et que pouvoir suivre des artistes puis lire leurs bd participe à mon sens à une sorte de métaverse qui me plait beaucoup.

J’arrive à la fin de ce que je souhaitais écrire et je me rends compte que la sortie de Mutafukaz premier du nom date d’il y a environ 15 ans (je refuse de croire que 2006 est si lointaine) ! Pourtant, rien n’a vieilli dans le travail de Run. Merci de ne pas être devenu un énorme boomer et vivement les prochains tomes.

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BD

Bédéchat : À cœur ouvert – Nicolas Keramidas (Dupuis)

Sternotomy and chill

Je vais vous présenter aujourd’hui une des récentes sorties aux éditions Dupuis dont le sujet principal est le parcours de soins d’un patient – l’auteur – souffrant de tétralogie de fallot.

Kessecé me demanderez-vous, ce à quoi je répondrais : « boh moi j’suis psychiatre hein ». Le site Orphanet saura être plus précis en décrivant le syndrome comme : « une communication interventriculaire, une obstruction de la voie de sortie du ventricule droit, une racine aortique « à cheval » sur le septum interventriculaire, et une hypertrophie ventriculaire droite ». Bref, tant de mots compliqués pour dire que ça va pas super au niveau du cœur, quoi.

Nicolas Keramidas que je connaissais pour Mickey’s Craziest Adventures (que je vous recommande par ailleurs) nous propose donc de suivre son parcours du début de sa vie jusqu’aux difficultés les plus récentes qu’il a pu rencontrer dans le cours de sa cinquième décennie.

Nicolas Keramidas : des débuts difficiles…

On apprend au tout début de l’ouvrage que l’auteur a en effet été un des premiers bébés à bénéficier d’une opération pour ce syndrome qui le marque évidemment à vie via la cicatrice de sternotomie. Il est assez étonnant de voir qu’il a réussi à faire de cette cicatrice une force étant jeune puisqu’il explique avoir inventé plusieurs histoires pour mettre celle-ci en valeur plutôt que pour la subir.

Cette période de la vie est rapidement évoquée, l’intérieur de la couverture nous met dans l’ambiance avec une photo rassemblant divers dossiers médicaux d’époque au sujet de cette chirurgie. On embraye directement sur la vie d’adulte de l’auteur et le début des complications à travers une douleur thoracique soudaine sur un terrain de foot.

L’hôpital des cœurs brisés

Rapidement pris en charge, il doit subir une nouvelle intervention de chirurgie thoracique et commence alors pour lui un chemin qui semble interminable : hospitalisation pré-opératoire, réanimation, soins de suite, complications… Tout est savamment décrit et voir ce parcours à travers les yeux du malade lorsque l’on est soignant est révélateur de nombreux éléments que l’on a l’habitude malheureuse de ne plus prendre en compte.

Ainsi cette bd soulève-t-elle de nombreuses questions, la première de celle-ci a été pour moi le moment où l’auteur explique que les médecins ayant l’habitude de le suivre ne lui avaient pas explicité les complications inexorables qu’il allait devoir subir à un moment de sa vie et que finalement il était heureux d’avoir été « ménagés par les docteurs ». Ce mode de fonctionnement côté médecin me semble totalement improbable et pourtant, l’auteur explique bien que dans une certaine mesure il aura préféré être mis à l’écart de ces notions de nouvelle opération et de complications avant le jour fatidique.

On voit également retranscrits avec humour des problèmes biens réels de l’hôpital : la tunique laissant largement entrevoir le fessier, les sorties impossibles le week-end, une prise en charge de la douleur aléatoire.

L’auteur utilise des notes qu’il a lui-même prises ainsi que celles de sa femme au moment de sa deuxième opération pour coller au plus proche de ce qui a pu lui arriver. Aussi assiste-t-on à des moments qui, si dans nos blouses de soignants ils semblent normaux, sont particulièrement difficiles pour les patients : la lecture du compte-rendu opératoire particulièrement angoissante avec pleins de mots incompréhensibles, le passage en réanimation où certains éléments de prise en charge ne sont pas expliqués au patient, la solitude lors de l’hospitalisation, les relations avec sa famille alors qu’on souffre.

« On est d’abord là pour vous soigner. Le côté humain, on le laisse dehors en entrant dans l’hôpital »

Nicolas Keramidas

La vision de l’hôpital et du corps médical est très juste dans cette bande-dessinée et on dévore l’histoire de Nicolas Keramidas qui trouve le juste milieu entre l’humour qui lui est caractéristique et les éléments factuels de son histoire. Le tout est aidé par un dessin très expressif et de magnifiques double-pages qui représentent bien l’état d’esprit de l’auteur au moment où il l’a vécu qu’il soit joyeux ou triste.

Ce que je retiens le plus de cet ouvrage, c’est le côté particulièrement déshumanisant de l’hôpital sur lequel l’auteur s’attarde à plusieurs reprises. Parfois pour des choses qui peuvent être de l’ordre du détail mais qui seraient tellement simple à modifier pour améliorer le « séjour » des patients.

Certains moments dans cette bd sont particulièrement forts et m’ont fait prendre conscience de beaucoup de choses. Le passage descriptif du couloir du service comme seul moyen de s’évader de sa chambre d’hôpital m’a touché car il permet de rendre compte du sentiment de solitude du patient dans cet état.

Une superbe histoire que je vous invite à découvrir. En plus, le prix par rapport à la pagination (environ 200 pages) est très modéré (17€50).

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BD

Bédéchat : Marqués – Damian et Javier (Ankama)

Grosse ambiance :

Aujourd’hui je vous présente une des toutes dernières sorties d’Ankama, Marqués par Damian et Javier que l’on connait notamment pour The Killmasters sorti également chez Ankama.

Quelques mots au sujet du paratexte car j’ai senti dès le début que la lecture allait être éprouvante, en témoignent les remerciements de Damian en début d’ouvrage : « je dédie cet album […] à tous ceux que j’ai croisé durant mes 20 années d’éducateurs ». Quand on sait le thème de la bd – les violences intra-familiales et leurs conséquences – on se dit que le point de vue d’un ancien éducateur va être particulièrement pertinent.

Dans la bande-dessinée nous suivons donc Pablo et Martha deux personnages qui ont eu la mauvaise idée de naître d’une mère usagère de drogues et d’un père violent, dans leurs vies de jeunes adultes qui sont parvenus à subsister malgré ce démarrage pas glop dans la vie. L’une est thanatopractrice, l’autre est vendeur dans une boutique, mais succombe au deal et aux combats clandestins pour gagner sa vie.

Ce qu’on note d’emblée dès les premières pages, c’est à quel point la vie va être complexe chez ces jeunes adultes du fait de leur passé violent qui nous est laissé à imaginer. Les personnages sont bien écrits et, comme j’ai pu l’aborder auparavant, on voit bien la compréhension des situations qu’a pu avoir l’ancien éducateur reconverti en scénariste de bd : on voit deux jeunes qui essaient de s’en sortir, qui vivent ensemble faute de moyen, la soeur occupant la place de protectrice quand le frère a pour principale caractéristique l’impulsivité.

Mais ce récit met aussi en avant de nombreux problèmes sociaux qui restent assez méconnus du public : les jeunes livrés à eux-mêmes, une sortie d’incarcération très sèche sans domicile ou perspective d’avenir, les relations entre les différentes générations dans une famille où les enfants ont subi des violences. On peut aussi voir une certaine forme de solidarité entre les personnes dans la galère qui essaient tant bien que mal de s’en sortir.

Au dessin, on retrouve comme dans les premières sorties avec Javier au dessin son style assez caractéristique, au trait appuyé avec un encrage très sombre, ce qui contribue à l’atmosphère lourde de l’histoire. Certaines cases sont particulièrement expressives pour caractériser les personnages et le travail des couleurs notamment des véhicules et de leurs phares dans les scènes à l’extérieur offre un rendu particulièrement beau.

Never do drugs, kids

J’ai dévoré l’histoire qui est très bien rythmée et qui pose à mon sens des interrogations intéressantes avec par exemple – de façon vague pour ne pas spoiler – la question : « comment pardonner à une mère qui a laissé faire de telles violences ? ». Le titre Marqués rend alors compte tant des séquelles physiques que psychiques des protagonistes qui construisent une partie de leur vie en fonction des expériences traumatiques vécues.

Et, du coup, ne frappez pas vos enfants. Ou qui que ce soit en fait.

Une très bonne lecture, comme bien souvent chez Ankama !

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Etudes Médecine légale

Statut ProfessioML: C’est compsyqué (partie 2)

Toujours assez peu à l’aise face à mes choix de vie

Fiouuuuuuuu ça fait quoi, un an et demi sans écrire sur mon blog ? Autant dire qu’on est loin de l’époque Skyblog où il pouvait y avoir une vingtaine d’articles (de qualité plus ou moins discutable) par jour.

Bref, aujourd’hui je propose une suite à mon précédent billet qui concernait mes interrogations sur l’avenir, notamment au regard du nouveau DES de médecine légale et du droit au remords. C’est sûrement l’occasion d’expliquer tout ça car vous imaginez bien qu’en un an et demi les choses ont bien bougé.

Droit dans le remords

Pin by This Way Come on Cats | Cats, Crazy cats, Animals

Alors, d’abord, en fait, finalement, pour commencer, bref, en guise d’introduction, c’est quoi un droit au remords ?

Il s’agit d’une possibilité de passer d’un Diplôme d’Etude Spécialisé (DES) vers un autre, dans notre ville d’affectation à l’ECN et dans les limites de notre classement (il faut avoir un classement qui permettait lors de notre ECN de choisir la spécialité vers laquelle on veut faire un droit au remords).

Cette possibilité est offerte jusqu’à la fin du 4ème semestre d’internat et doit être validée 4 mois avant la fin du semestre en cours, donc la deadline réelle est « 4 mois avant la fin du 4ème semestre d’internat ».

Pour ce faire, il faut en discuter avec le référent de la spécialité de départ et celle d’accueil, et également en discuter avec le doyen qui valide ou pas cette possibilité.

L’autre question qui se pose également est alors la validation de certains stages effectués au titre de la nouvelle spécialité. Pour exemple, dans mon cas, j’ai pu valider un stage de psychiatrie fait dans ma maquette de médecine légale, ainsi qu’un stage de médecine légale qui compte en tant que « hors filière » dans ma nouvelle maquette de psychiatrie.

Me concernant, j’ai fait un droit au remords à mon 4ème semestre, j’aurais donc fait ML-pédiatrie-psy-ML dans ma maquette de médecine légale et dans ma maquette de psy, à ce jour, j’avais conservé un stage de psy et de ML et je fini actuellement mon troisième semestre de psychiatrie.

Pourquoi donc ?

Comme j’ai pu l’évoquer ici précédemment (Statut professioML : C’est compsyqué (partie 1)), le choix a été particulièrement compliqué et encore à ce jour il me reste un goût amer lorsque je vois certains posts de mes collègues DES de ML qui ont persisté dans cette voie.

Pour autant, à ce jour, je ne regrette absolument pas mon choix car la psychiatrie est une discipline tellement riche que je suis convaincu qu’il est impossible de s’y ennuyer.

Beaucoup d’arguments envers la psychiatrie m’ont permis également de baisser un peu mon niveau de stress, notamment la perspective d’avoir un poste un peu où je veux plus tard ce qui semblait largement compliqué en médecine légale.

D’autre part, en psychiatrie, j’ai le sentiment d’apprendre des choses beaucoup plus diverses. La ML sous la forme du DES reste pour moi du domaine de l’hyperspécialisation et je trouve a posteriori que malheureusement la formation en 4 ans est assez pauvre, notamment au regard de l’expertise médicale à laquelle il faut se former seul, et au regard des autres disciplines auxquelles on n’a plus accès (pour rappel auparavant on se surspécialisait en médecine légale, on avait en amont une formation de spécialité qu’elle soit MG, psy, anapath, pédiatrie…).

Je cultive aujourd’hui l’espoir de pouvoir travailler à la croisée des chemins, bien que je ne sache pas encore quel poste me plairait particulièrement, c’est d’ailleurs une des forces de la psychiatrie : un poste classique ? un poste en milieu carcéral ? un poste en médecine légale (est-ce même possible ?) ? Il subsiste encore beaucoup d’interrogations sur la place que prendront les internes de DES ML dans les services de médecine légale, et je suis persuadé qu’un.e psychiatre ne sera pas de trop dans ces services et qu’il sera donc possible de s’y faire une place. Mais, par exemple, sera-t-il possible d’autopsier ? Il semble évident que non sur le papier, mais un poste en UMJ qui ne serait pas polyvalent semble largement moins intéressant.

Difficile de se projeter dans l’avenir du coup et très difficile de construire mon internat puisque je suis dans le flou quant à la suite. La logique voudrait que je passe un maximum de diplômes différents pour « me vendre » au mieux ensuite, mais…Au secours ?

Quelles formations en psychiatrie pour s’orienter vers la psychiatrie légale ?

Cat guilty I knocked down the xmas tree prison jail arrest | StareCat.com

La psychiatrie légale, de la même façon, c’est assez vaste. C’est également assez mal définit dans le cursus, y’a pas de vraie spécialité comme on pourrait la choisir pour la pédopsychiatrie, l’addictologie ou la psychiatrie de la personne âgée. Tout est à construire.

Une Formation Spécialisée Transversale d’ « Expertise médicale » a vu le jour, il s’agit de deux semestres pour avoir cette valence. Néanmoins en fonction des régions, cette FST n’est absolument pas adaptée aux psychiatres et correspond parfois plutôt à des médecins somaticiens qui veulent faire de l’expertise de dommage corporel. Il y a tout un travail à faire pour créer une réelle filière de psychiatrie légale dans le cursus de l’internat de psychiatrie. Je sais néanmoins que dans certaines villes, certains internes de psychiatrie se sont lancés dans cette aventure.

Il existe par ailleurs de nombreux DU à ce sujet, notamment en « criminalistique », en « psychiatrie légale », en « expertise médicale ». Difficile de s’y retrouver et surtout de voir dans quelle mesure tel ou tel DU est nécessaire à l’exercice futur.

Enfin, la question d’un éventuel Master 2 se pose, orienté vers la psychiatrie légale, un master qui serait de l’ordre du droit médical par exemple. Mais est-il essentiel ? Y’a-t-il besoin d’un tel diplôme si on ne souhaite pas de carrière hospitalo-universitaire ?

Il faut aussi se rendre compte que la psychiatrie est une spécialité avec un déficit de praticiens particulièrement énormes alors, est-il vraiment nécessaire d’avoir un CV comportant 15 diplômes afin d’accéder au poste convoité ?

En effet l’exercice carcéral n’est pas particulièrement un eldorado pour les internes en psychiatrie, l’expertise donne envie mais en rebute finalement plus d’un et la France est dans un tel déficit d’experts qu’elle acceptera globalement n’importe quel psychiatre qui souhaite s’inscrire (c’est moche mais c’est une réalité).

Le poste qui me conviendrait le mieux serait un de ceux à l’UMJ occupés par les DES PSY avec DESC ML, ce qui n’est plus possible à ce jour. Qui les remplacera ?

Bref vous voyez qu’il reste de nombreuses questions en suspend et que rien n’est très clair, c’est pour cette raison que malheureusement on me pose des questions sur « comment devenir psychiatre légiste », je trouve que la réponse n’est pas si simple et qu’elle dépend surtout de ce qu’on entend par « psychiatrie légale ».

Mon parcours pour exemple :

Pour être factuel, voici les diplômes que j’ai passé/que je convoite pour vous donner un ordre d’idée :

  • DU d’expertise du dommage corporel : fait, intérêt de passer le CAPEDOC ?
  • DU de psychopharmacologie : en cours
  • Ecole de TCC : en cours
  • DU de psychiatrie légale : à faire
  • DU de criminalistique : à faire
  • FST et M2 de droit : à faire en une année de césure ??
  • (Licence de Lettres : en cours sans que ça n’ait un gros poids dans mon CV !)

Mais bon, je vais sûrement me brûler les ailes avant la fin et considérer qu’une vie tranquille de PH me convient très bien.

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Médecine légale

Rédaction du certificat initial en MG/MU

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Afin de rendre la rédaction des certificats initiaux (« certificats de coups et blessures ») moins anxiogènes pour nos confrères généralistes, urgentistes, voire même spécialistes, mon co-interne (Antoine BIGAND) et moi vous proposons cette explication des éléments essentiels à rechercher et donc à inscrire sur ledit certificat.

Il est important de savoir que ce certificat a une grande valeur aux yeux du légiste qui verra le patient parfois trois, quatre jours plus tard. En effet, plus vous êtes précis dans sa rédaction, plus cela permettra de comparer, de voir si les lésions sont compatibles avec ce que raconte le patient, et surtout, cela permettra de noter des lésions qui auront peut-être disparu lorsque l’on verra nous-même le patient. Il est donc essentiel pour nous d’avoir les informations initiales les plus précises possibles.

Voici donc comment doit se rédiger un certificat initial, assorti d’exemples et de notes pour essayer d’expliquer au mieux l’intérêt des éléments que nous avons inclus dedans.

 

 

EN-TÊTE :

Identité du soignant, date de l’examen, lieu de l’examen (service…).

  • Ne jamais oublier la date, c’est essentiel en médecine légale !

 

COMMÉMORATIFS :

Les faits, tels que rapportés, au conditionnel, à la forme passive : « Il rapporte », « Il aurait subi »

On précise si l’entretien se fait seul ou en présence d’un tiers (parents, conjoint ?)

On décrit les violences subies

– Quand ?

– Quoi ?

– Où ?

– Qui ?

– Depuis Quand ? Contexte socio-économique…

– En cas d’AVP = Casqué ? Conducteur ou passager ? Airbags ? Ceinturé ? Désincarcéré ou sorti seul du véhicule ?

Prise en charge médicale (sur compte rendu = au présent, sinon = au conditionnel) : Samu, pompiers, Hôpital SAU, bilan Rx…

Exemple :

« Le 18 janvier 2019 à 11 heures 50, Monsieur X aurait subi des violences physiques et verbales, de la part d’un voisin, à son domicile à Paris.

Il aurait reçu des coups de poings et de pieds au niveau des deux jambes. Il aurait été poussé au niveau de l’épaule gauche et aurait chuté sur les fesses.

Il ne rapporte pas de perte de connaissance.

Il a été conduit au service des urgences de l’hôpital X. Il a bénéficié d’un bilan radiographique montrant… Un compte rendu médical mentionne… »

=> Pas besoin d’en écrire des tonnes, il faut être précis et ne pas conclure à la place du patient, d’où l’emploi du conditionnel.

Il ne faut pas hésiter à préciser le contexte. Par exemple : « ces faits s’inscrivent dans un contexte de violences conjugales chroniques depuis x années »

 

DOLEANCES :

– Ce dont se plaint le patient (pas « céphalée », mais « maux de tête », on note ce que le patient rapporte)

– Phrases rapportées entre guillemets : « je ressens ça… »

Questions ouvertes et non orientées, type : « Et au niveau du sommeil ? Racontez moi votre nuit. Parlez moi de votre moral. Dites m’en plus sur… »

==> Douleurs

==> Sommeil

==> Appétit

Exemples :

« Monsieur X se plaint de maux de tête et de douleurs à la jambe gauche.

Il rapporte être « au bord de la dépression« . Il dit « le sommeil c’est difficile, je me réveille la nuit ». »

  • Ces éléments seront utiles pour conclure sur le plan psychologique. Les questions ouvertes sont le moyen le plus sûr de ne pas induire de réponse par le patient. Si vous demandez « est-ce qu’il y a des réveils nocturnes ? », le patient aura tendance à dire spontanément oui, par exemple.

 

EXAMEN CLINIQUE :

PHYSIQUE :

– Présence de dispositifs médicaux

Exemple : « Monsieur X se présente ce jour avec une attelle de Zimmer à la jambe gauche, et marche avec deux cannes anglaises »

Localisation précise (on doit facilement retrouver où c’est)

– Au tiers (proximal/distal)

– De la face (antérieure/postérieure/médiale/latérale – pas interne/externe, sauf organe creux !)

– En regard d’un relief osseux

– En région (pré-patellaire…)

Lésion élémentaire

=> Une ou plusieurs, ne pas hésiter à regrouper les lésions si nombreuses : « une zone contenant de multiples excoriations millimétriques… »

=> Excoriation (pas dermabrasion ou abrasion, ça ne touche pas le derme…)

=> Ecchymose (non collecté)

=> Hématome (collecté)

=> Plaie (contuse, bords nets, irréguliers, profondeur…)

=> Pétéchie…

Couleur

Forme (linéaire = verticale/horizontale/oblique = 2 sens, en étoile…)

Orientation

Taille

Ne pas hésiter à mettre « rapporté en lien avec un coup de poing… »

Exemple : « Au tiers distal de la face antérieure du bras droit, en regard de la styloïde radiale, une plaie contuse à bords ecchymotiques, linéaire arciforme à concavité latérale, comportant des stigmates de 3 points de suture, rapportée en lien avec une morsure de chien »

  • Il est essentiel d’être précis sur ce point, car les médecins légistes voient les patients plusieurs jours après les urgentistes ou les généralistes. Il est donc important d’avoir un point de repère et une trace des lésions qui auront peut-être disparu.

PSYCHOLOGIQUE :

Ne pas mettre juste « Retentissement psychologique. »

On fait un regroupement syndromique sans conclure sur une pathologie du DSM, et on reste vague : ne pas mettre « anxiété réactionnelle » ou « SPDT » si pas sûr !

On mettra plutôt : « manifestations anxieuses, troubles du sommeil, de l’appétit… »

On recherche de manière habituelle :

  • Troubles du sommeil
  • Troubles de l’appétit
  • Manifestations anxieuses de type :

=> Hypervigilance (on parlera plutôt de « vigilance accrue », mais c’est du détail)

=> Conduites d’évitement, ou reprise d’activités en lien avec les faits (reprise précoce de la conduite après un AVP ?)

=> Ruminations (y repenser = pensées envahissantes)

=> Reviviscences (revivre la scène = flash, diurnes, nocturnes)

=> Dissociation (souvent grave !)

 

CONCLUSION :

-Reprendre les lésions physiques et retentissements psychologiques en quelques mots.

-Ne pas évaluer d’ITT (nombre de jours où le patient ne peut pas réaliser ses actes de la vie courante : manger, se déplacer, se laver, faire ses courses…), si pas de réquisition (sera réévaluée par ML).

-Ne pas confondre nombre de jour d’ITT et nombre de jours d’Arrêt de Travail…

 

 

 

 

 

 

Voici donc un squelette de certificat, que vous pouvez utiliser facilement :

« Dr … , le … , service de …

Je reçois ce jour M/Mme X, né le … qui dit avoir subi des blessures de la part d’un tiers.

COMMEMORATIFS :

Le … vers … heures, à … , M/Mme X aurait subi des blessures de la part d’un individu connu/inconnu de lui. Il aurait……

Il a été transporté aux urgences par les sapeurs pompiers, un compte-rendu des urgences rapporte : « …. ».

DOLÉANCES :

Ce jour, M/Mme X se plaint de …, il/elle rapporte spontanément … Concernant son sommeil/appétit, il/elle dit : « … ».

EXAMEN CLINIQUE :

A l’examen physique, je constate :

Sur le plan psychologique, M/Mme X dit : « … ». Il/elle rapporte des manifestations anxieuses à type de … Il/elle rapporte des troubles de l’appétit/du sommeil ( avec perte de x kilos, avec réveils nocturnes…)

Certificat délivré en mains propres à la demande du patient pour faire valoir ce que de droit.

Signature, cachet :

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Le grand plongeon

Discworld-II

L’entrée des artistes :

Lundi 5 novembre 2018, c’est le grand plongeon. Enfin, ça s’avérera plutôt être une délicate glissade dans une baignoire tiède remplie de mousse (avec un canard en plastique aux couleurs de la bienveillance).

L’appréhension était à son paroxysme, et bien qu’ayant visité le service auparavant, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre et surtout, ce que mes supérieurs allaient attendre de moi. Lorsque j’étais venu, ils m’avaient bien fait comprendre qu’ils avaient conscience que je ne connaissais rien à leur art et que tout était à apprendre. C’était déjà ça. Mais l’intégralité des internes que j’avais vu durant mon externat étaient des personnages aussi blancs que leur blouse, toujours en train de courir, toujours en staff, toujours en RCP, toujours en train de finir un compte-rendu…Et je ne me sentais pas prêt à rentrer dans ce tourbillon d’un seul coup.

Bref, tout ça pour dire que la semaine précédant l’internat, j’ai perdu 2 kilos, pour des raisons physiologiques évidentes.

J’arrive donc à 8h30 et suis reçu par un PH et le chef de service au café. On va attendre les deux autres internes, puis faire une petite entrevue avec le chef. Lesdits co-internes arrivent, et ont le bon goût d’être à la fois très gentils, mais également déjà passés dans le service.

Reçus par le chef, il nous explique que « nous ne sommes pas là pour pallier au manque de médecins dans le service » et que nous sommes en surplus. Du coup, nous devons nous arranger entre nous pour voguer entre les diverses missions du service. Nous allons avoir des cours les mardis et jeudis soirs durant un mois, afin d’avoir le minimum vital pour pouvoir faire des choses seuls. Plutôt bien comme organisation : grande liberté de mouvements (et je suis de ceux qui pensent que c’est en réfléchissant comme ça qu’on donne envie aux gens d’apprendre), et on ne s’attend pas à ce que le pauvre petit premier semestre connaisse déjà tout de la spécialité.

Les inévitables formalités administratives réglées, sur les coups de midi, nous partons manger à l’internat. J’ai la bonne surprise de voir que le chef de service et quelques PH déjeunent chaque midi avec les internes/assistants, chose qui n’était pas du tout évidente pour moi, mais qui fait partie des « petites choses » qui resserrent les liens dans un service.

Je suis opérationnel pour commencer dès l’après-midi.

 

Au boulot :

Je fais rapidement connaissance avec mes co-internes qui ont tous les deux pour vocations de devenir légistes. Un d’eux est interniste et l’autre est anapath. Ce dernier est déjà passé en tant qu’interne dans le service : il connaît tout le monde, connaît le mode de fonctionnement du service, et connaît bien le boulot. C’est une super personne-ressource et je vais être un véritable poids avec la masse de questions que je vais lui poser !

Bref, le lundi après-midi, il y a deux corps à examiner. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autopsie demandée, juste un examen externe, pour voir si les causes de la mort sont compatibles, si on identifie bien la personne etc. Il s’agit donc de détailler les vêtements de la personne, de détailler ses signes distinctifs (cicatrices, bijoux, tatouages…), de détailler les lésions que l’on peut apercevoir et de dire si les lésions sont compatibles avec la cause de la mort telle que rapportée (Je n’irais pas plus loin dans les exemples pour préserver l’anonymat des patients que nous avons pu voir, j’en reparlerais quand je pourrais éviter de donner des détails sur la date où j’ai vu tel ou tel corps.)

Revenus de l’IML, mon co-interne m’explique comment fonctionne les consultations adultes, pour les victimes de violences. Nous en faisons une ensemble, il m’explique comment rédiger un certificat (tout au passif, au conditionnel…), comment coter une ITT (= Interruption Temporaire de Travail).

Pour le planning, nous prenons tous les trois le parti de dire « on verra au jour le jour ».

Le mardi matin, je suis embarqué avec le médecin de déplacement, c’est-à-dire celui qui fait les levées de corps (les « constatations de décès »), et les examens des gardés-à-vue (pour dire s’ils sont compatibles avec une garde à vue de 24h). C’est une pédiatre légiste, et elle participe à un staff le mardi matin, dans une unité de la pédiatrie où l’on fait le tour des questions de maltraitance au sens large. Elle apporte donc son « expertise », en tout cas son avis sur certains dossiers, d’enfants battus, d’enfants secoués, d’enfants dans des situations préoccupantes. Ce staff est composé de pédiatres, d’assistants sociaux, de personnes de la PMI… Il fait un grand tour et brasse beaucoup de petits patients en une matinée, c’est très enrichissant.

Dès la fin du staff, la médecin est appelée pour une garde à vue : examen médical, contrôle des médicaments, des antécédents sont au programme pour voir si la personne est apte à rester dans sa cellule pour 24h.

Dans l’après-midi, nous sommes appelé pour une levée de corps. Il s’agit ici de dater au mieux le décès, de trouver les signes distinctifs permettant d’affirmer que la personne est bien celle que l’on pense (pour exemple, ici, nous avons mis en relation un ancien compte-rendu d’hospitalisation et les cicatrices du cadavre pour dire que tout était compatible), et de dire s’il y a un « obstacle médico-légal » lors de la rédaction du certificat de décès, qui permettrait au magistrat de décider d’une autopsie. Ce n’était pas le cas ici.

Le mercredi, je vais aux auditions pour mineurs. C’est un mode de fonctionnement très intéressant. En effet il existe dans le service une salle d’audition où la police auditionne des enfants, avec une vitre sans teint et un enregistrement, qui permet de ne pas avoir à faire répéter 50 fois à l’enfant une information qu’on n’aurait pas comprise. La procédure est très protocolisée : la personne amenant l’enfant voit d’abord une psychologue avec l’enfant, pour discuter de la procédure. Puis la psy voit l’enfant seul, lui pose des questions sur sa vie, ses activités, pour le mettre dans de bonnes dispositions et voir s’il est enclin à la discussion. L’officier de police vient ensuite se présenter, et présente à l’enfant et ses accompagnants la salle d’audition et la salle d’enregistrement. Puis un des officiers va avec l’enfant dans la salle d’audition, pendant que nous sommes à l’enregistrement (un micro permet de transmettre des informations au policier qui fait l’interrogatoire). A l’issue de l’audition, l’enfant est vu par un médecin, avec un examen orienté en fonction de ses révélations (et donc, plus ou moins un examen génito-anal par exemple). Ce mode de fonctionnement est très intéressant.

Le jeudi matin, je fais des consultations en binôme avec mon co-interne : violences physiques, verbales, harcèlement moral, accidents de la voie publique, accidents de travail, violences conjugales… L’exercice est assez varié et les histoires les sont tout autant. Je suis de plus en plus à l’aise avec la rédaction des certificats, et j’ai surtout envie de ne pas tenir la patte de mon pauvre co-interne trop longtemps. Nous prenons les consultations d’un médecin prévu pour ça, qui propose gentiment de m’accueillir, mais le travail en binôme fonctionne déjà très bien donc nous faisons 1 consultation sur 2.

Le jeudi après-midi, je suis avec un médecin qui fait des expertises. La sécurité sociale nous demande, par exemple, si « le patient était apte à travailler à telle date ». Sont joints au dossier des certificats médicaux d’une hospitalisation ayant entraîné l’arrêt de travail contesté par la sécu. Exercice complexe, il faut s’aider du dossier et de l’examen clinique pour se prononcer. Je n’en ai pas encore fait assez pour avoir un véritable avis ou pour pouvoir expliquer bien clairement de quoi il retourne.

Le soir, nous avons cours dans le service sur le « droit pénal » puis sur « l’examen des victimes » au sens large, qui permettent de mieux comprendre ce que je fais depuis quelques jours, et de donner des pistes pour pouvoir s’autonomiser rapidement.

Le vendredi matin, j’accompagne un PH à une présentation sur « les dangers des stupéfiants ». On propose cela à des gens qui, plutôt que de subir une condamnation, choisisse de suivre ce stage de sensibilisation qui coûte 120 euros et dure une journée. Un peu comme pour les points du permis. Le médecin durant deux heures présente l’historique de diverses drogues, leur effet sur le cerveau et sur la santé, dans un exercice de vulgarisation pas toujours simple. Pour les personnes suivant ce stage, l’après-midi est consacrée à une table ronde sur les conséquences sociales de la consommation de stupéfiants.

Vendredi midi, staff « autopsies de la semaine », avec images intéressantes, points délicats, discussions sur les conclusions et sur le type de prélèvements effectués…Puis une petite séance de biblio, qui aura lieu tous les vendredis, pour se tenir à jour. Parfait !

L’après-midi, je suis en consultations pour mineurs. J’y vois de l’examen pédiatrique global, orienté en fonction des dires des enfants et de leur motif de consultation. C’est l’occasion de faire un check-up pédiatrique chez des enfants qui ne sont pas nécessairement suivis par ailleurs. Echanger avec des PH pédiatres de formation est très enrichissant.

Le lundi suivant, enfin, la sacro-sainte autopsie. Non pas que j’attendais cela avec impatience, mais puisque dans l’esprit des gens on ne fait que ça…Autant avoir une petite idée de ce que c’est, quand même ! (J’espère que mon article aura montré que la mort est bien loin d’être notre fond de commerce principal)

Nous partons donc à l’IML, où j’aurais pour charge de prendre les notes de l’autopsie (évidemment, on ne va pas demander au nouvel interne de pratiquer ce qu’il n’a jamais vu !). La salle est un mini-amphithéâtre, on voit très bien ce qu’il s’y passe. Des policiers en charge de l’enquête suivent l’autopsie, mettent les prélèvements sous scellé. Quant à moi je découvre la façon de procéder, le professeur me montre des éléments d’intérêt, comment conclure, le poids normal des différents organes…Toute une masse d’informations à acquérir. Les dossiers sont néanmoins intéressants, mais je ne m’étendrais pas dessus aujourd’hui.

La reine des spécialités ?

Sept jours d’internat, sept jours différents. C’était l’objectif dans ma vie : avoir une activité variée. Je suis de plus en plus confiant dans mon choix. L’équipe aide beaucoup, et tout le monde est très sympa, c’était aussi un point très important.

Après trois années d’externat, à travailler pour un concours et pas pour moi, je réapprends à être heureux de me lever le matin.

Et surtout, la journée, je ne vois pas passer les heures.

Vivement la suite !

 

 

 

 

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Dans la tête de Tim – Villiot et Brujatoff

Encore une façon de croiser l’utile à l’agréable puisqu’il s’agit aujourd’hui à nouveau d’une bande dessinée concernant un trouble psychique : le Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA).

J’étais hésitant à m’engager dans cette lecture tant la gestion des TSA en France m’a proprement traumatisé – jamais de place en structure adaptée, structures parfois maltraitantes, obligation « faute de mieux » d’être à l’HP pour y être d’autant plus maltraité – mais le style graphique et notamment la gestion de la couleur m’a donné envie de me plonger dans le livre.

Le pitch est plutôt simple : on suit Marc, cadre dynamique et donc nécessairement parfaitement hautain et détestable, dans ses difficultés à assumer un enfant souffrant d’autisme qu’il n’a pas élevé. En effet, Tim est depuis son plus jeune âge élevé par sa mère qui, au bout de quelques années, s’épuise et laisse la garde de son fils à son ex-conjoint qui, par la force des choses, se trouve obligé de s’en occuper.

Car la notion d’obligation est très juste ici, la rencontre entre le père et son fils est une tannée pour lui, entre incompréhension et désespoir.

On suit ensuite le parcours de Tim et de son père qui va progressivement s’attacher à lui alors que tout allait dans le sens d’un énième abandon.

On trouve dans cette bande dessinée les pires obstacles que peuvent subir les enfants souffrant de TSA : rejet, tentatives d’abandon, déshumanisation, explosion de la sphère familiale. Pourtant, l’issue est plutôt heureuse et je pourrais reprocher au scénario de tendre très rapidement vers le changement de comportement du père qui passe de quelqu’un de détestable à quelqu’un de profondément attaché à son fils et d’adapté dans sa prise en soins.

Sur le plan de l’illustration j’aime beaucoup l’utilisation du noir et blanc et des couleurs qui entourent uniquement les éléments d’intérêt pour Tim. On a notamment des doubles pages de représentations colorées de son esprit, ou des pages très colorées lors de moments heureux et positifs pour lui, à mettre en perspective avec le noir et blanc maussade notamment au début de la bande dessinée.

C’est au total une belle histoire de vie avec -malheureusement- une représentation assez authentique du parcours de certains enfants souffrants de TSA.

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L’espace d’un instant – Niki Smith

Croisons les thèmes de ce blog pour tous les aborder d’un coup puisqu’aujourd’hui je vous présente L’espace d’un instant de Niki Smith paru chez Rue de Sèvres dont le sujet central est celui du psychotraumatisme.

Manuel est un adolescent qui a vécu un épisode traumatique à l’école, on comprend progressivement qu’il se trouvait seul avec sa professeure dans la salle d’arts plastiques lorsqu’une personne armée a fait irruption dans la classe, s’en prenant à elle. Aucun blessé, car Manuel a pu, dans un moment hors du temps, sauter sur l’alarme à incendie qui a fait déguerpir l’assaillant.

Décrit comme un héros par la communauté de l’école, satisfaite qu’il n’y ait eu « plus de peur que de mal », la vie reprend son cours. Pourtant celui-ci présente de plus en plus de symptômes inconfortables, à commencer par la porte de la classe qu’il n’arrive plus à quitter des yeux.

C’est avec une très grande subtilité que l’auteure aborde le sujet du psychotrauma adolescent puisqu’elle ne nous met pas d’emblée face à l’évènement traumatique mais plutôt face à ce jeune homme qui au fil des pages souffre de nombreux symptômes : hypervigilance d’abord mais aussi reviviscences auditives ou visuelles, conduites d’évitement et difficultés dans les interactions sociales, les troubles du sommeil et les crises dissociatives.

Loin d’être un roman graphique démoralisant, on suit la reconstruction de ce jeune homme qui, avec l’aide de deux amis, ré-apprend à vivre normalement et à s’exprimer sur ce qui a pu se passer. Sa passion pour la photographie lui offrira un point d’ancrage lors des crises dissociatives et l’appareil photo deviendra un véritable outil thérapeutique.

Isolé sur le plan psychique comme sur le plan géographique -l’histoire se situe dans un milieu rural du Kansas-, Manuel doit faire valoir ses symptômes auprès de ses proches et la première moitié de l’ouvrage décrit parfaitement le sentiment de solitude des personnes ayant subi des faits traumatisants et les difficultés qu’elles peuvent avoir à exprimer ce qu’elles ressentent et surtout à être entendues.

Superbement mise en images par son auteure, l’histoire se concentrera donc sur la reconstruction d’un enfant dont les bases n’étaient pas nécessairement solides initialement. Les touches graphiques pour mettre en évidence les éléments symptomatiques de Manuel sont très bien gérées, tantôt mises en lumière, tantôt entourées d’un noir profond illustrant la solitude du personnage face à ceux-ci.

Tout est parfait dans cette représentation du stress post-traumatique, en plus pour la somme modique de 16€ les 250 pages !

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Moon – Cyrille Pomès

Dernière sortie chez Rue de Sèvres, Moon est l’œuvre de Cyrille Pomès que j’avais découvert il y a quelques temps grâce à Les fils de l’Ursari.

L’histoire mise en cases est celle d’un groupe d’adolescent vivant en bord de Méditerranée dans une station touristique désertée par les vacanciers à la fin du mois d’août. Commence donc la longue période morte de cette ville jusqu’à l’été prochain. Les jeunes retournent à l’école et, seul moyen de s’accrocher au monde, deviennent ultra-connectés sur les réseaux sociaux.

On suit en parallèle l’histoire de Gabriel, surnommé Cosmos car toujours dans la lune, dont la famille a pour principe de limiter autant que possible les outils technologiques qui leurs semblent une régression plus qu’une avancée, ainsi que Luna qui est tout son contraire puisqu’elle est une star des réseaux sociaux.

Le principal élément perturbateur de l’histoire va être une coupure générale de courant, contraignant la ville entière à fonctionner sans moyens technologiques et notamment sans téléphone portable ni télévision. Les adolescents doivent alors réapprendre à vivre comme leurs ancêtres -leurs parents-.

À la lecture du synopsis, j’avais extrêmement peur de l’alerte boomer et du sujet traité uniquement sous le prisme du cétémieuxavant. Pourtant le vrai thème évoqué dans cet ouvrage est l’interaction adolescente, le sujet technologique n’étant qu’un prétexte pour que tous les protagonistes puissent se retrouver.

Nous est donc dépeinte la société adolescente « classique », entre introvertis, stars du lycée, énormes bullies. L’impact de la coupure électrique sera bien plus importante qu’une simple stase de 15 jours puisqu’évidemment Cosmos sera dans un élément qu’il connait déjà, étant mis à l’écart de tout objet électronique depuis son enfance.

La richesse des dialogues sert ce propos et fait de cette bande dessinée qui pourrait être une énième redite du microcosme adolescent un ouvrage touchant et original.